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Valérie Rose Benoit : « Paros vu de la mer », les rencontres virtuelles et l’hypersensibilité font-ils bon ménage ?







3 Avril 2020

Valérie Rose Benoit, psychologue et écrivaine, passe au crible les étapes d’une rencontre via un site internet et nous livre une analyse fine et concentrée de ses effets sur les plus sensibles dans un style original et actuel. Elle nous fait découvrir les méandres de ce sujet d’actualité en nous faisant voyager aux confins du virtuel dans le décor idyllique de Paros aux Cyclades.


Valérie Rose Benoit, quelles ont été les sources d’inspiration de votre roman « Paros vu de la mer » ?

Je suis allée à Paros il y a deux ans et j’ai eu un véritable coup de cœur pour cette île et pour les Cyclades d’une façon générale. J’ai voulu partager cet univers naturel exceptionnel avec le lecteur et l’embarquer au cœur d’une aventure amoureuse après une rencontre sur internet, avec des rebondissements et une fin assez inattendue. Depuis quelque temps, je m’interroge beaucoup sur le nombre croissant de célibataires qui ne l’ont pas choisi alors que l’on nous vante les mérites des sites de rencontres et la multitude de choix de partenaires qu’ils proposent. Pourquoi, à l’heure où il est si aisé de rencontrer quelqu’un, il devient paradoxalement difficile de rencontrer la femme ou l’homme de sa vie ? C’est une révolution sociétale qui marque une modification radicale de notre rapport à la relation amoureuse. Ces phénomènes sont déjà abordés depuis plusieurs années sous l’angle du collectif grâce aux études des sociologues. Le très récent livre d’Éva Illouz, « La fin de l’amour » a d’ailleurs remarquablement illustré, entre autres, l’impact du virtuel et des sites de rencontres sur le lien amoureux. À l’opposé, je suis partie d’une expérience singulière pour tenter de décrypter quelque chose de cette évolution sans précédent.
 
En quoi votre métier de psychologue a-t-il pu influencer votre fiction ? 

L’écriture a d’abord été guidée par le désir d’embarquer le lecteur dans une aventure et de le faire vivre cette expérience avant, pendant et après la rencontre réelle entre les deux protagonistes. Ce n’est qu’au fur et à mesure de l’écriture que j’ai ressenti le besoin de saisir plus en profondeur les ressorts psychiques des personnages. Néanmoins, raconter une histoire reste le point de départ de ma démarche et le but n’a jamais été de réaliser un essai ni une démonstration.
 
Vous avez choisi choisi de parler de l’hypersensibilité et de Haut Potentiel Affectif (HPA). Pouvez-vous nous en dire plus ?

L’hypersensibilité est un trait de caractère qui fait que les personnes vivent intensément leur rapport aux autres et à l’environnement en général. Certains événements insignifiants pour la plupart peuvent revêtir une importance cruciale pour quelqu’un d’hypersensible et être ressentis de façon exacerbée. La plupart du temps, l’hypersensibilité est abordée en psychologie sous l’angle de l’émotionnel, du cognitif et du perceptif. La relation amoureuse est peu envisagée alors qu’elle occupe une place fondamentale dans la vie affective des hypersensibles. En son absence, ils peuvent ressentir jusqu’à un réel manque de sens à leur quotidien. Pourtant, ce phénomène est très peu décrit. J’ai donc voulu leur rendre hommage, valoriser cette différence et mettre en valeur les qualités émotionnelles qu’ils possèdent. J’ai créé ce terme spécifique, le Haut Potentiel Affectif (HPA), que je définis comme un don en matière de relation amoureuse, un fort potentiel à aimer grâce à des compétences affectives exceptionnelles et exponentielles.
 
Vous faites un lien assez original entre l’hypersensibilité et les rencontres sur internet. Les hypersensibles sont-ils les heureux élus des belles histoires sur la toile ?

Ils le peuvent tout autant que les autres bien sûr puisqu’ils sont doués pour les histoires d’amour ! Toutefois, ils doivent redoubler de vigilance, car ils sont peu armés pour le « casual sex » et les relations expresses. Ils peuvent donc aussi être les grands perdants. Peu enclins à la superficialité, ils se trouvent déstabilisés par leur attachement rapide et sincère dans des relations qu’ils découvrent ensuite seulement, comme illusoires. L’hypersensibilité m’a semblé être, en raison de l’intensité extrême du vécu qui la caractérise, une excellente porte d’entrée pour mettre en exergue et rendre compte des ressorts psychiques de ces relations non investies affectivement par l’un des deux protagonistes. Je pose l’hypothèse que ces mêmes mécanismes de désillusions et les souffrances qu’ils entraînent chez les hypersensibles existent chez un bon nombre, à des divers degrés. L’hypersensibilité permet de modéliser quelque chose d’un ordre plus général, sans aucune prétention scientifique par ailleurs. Le roman se prête à cette diversion. La fiction engage à une réflexion fluide et légère.
 
Votre point de vue semble assez ambivalent sur les effets psychiques des rencontres par internet. Que pouvez-vous nous en dire ?

Effectivement, dans ce roman, les protagonistes ont prévu de passer une semaine ensemble. Ces quelques jours à deux dans un milieu merveilleux contient à la fois la fascination de la rencontre avec un décor qui s’y prête, mais aussi très rapidement le désarroi de ce qui va se passer après. Plus les émotions sont intenses, plus elles donnent l’illusion d’une belle histoire qui commence. Malheureusement, la fin sera d’autant incompréhensible pour Laura, l’héroïne. La semaine idyllique lui a fait croire qu’elle pourrait se projeter au-delà avec le héros, Édouard. La deuxième partie du roman traite de la chute. C’est de ces décalages et de ces ascenseurs émotionnels que j’ai voulu parler alors que les deux personnages ont vécu les mêmes événements, au même moment dans l’espace très réduit d’un voilier.
 
L’environnement marin est très présent tout au long de votre roman. Qu’est-ce qui a motivé cette omniprésence en filigrane ?

Un voyage à bord d’un voilier qui m’a permis une réflexion différente. Le large permet à la fois une ouverture de notre regard sur le monde et une démarche introspective. Il facilite la prise de recul, une vision décalée et apporte la poésie nécessaire pour éviter des analyses trop ennuyeuses. Le recours aux œuvres d’art concourt également à cette dynamique. C’était aussi pour moi l’occasion de faire prendre conscience de la chance que nous avons d’habiter sur cette terre qui nous offre un environnement d’une beauté exceptionnelle et représente une source incommensurable de bien-être. Je voulais donc exprimer ma gratitude envers cet environnement naturel et sensibiliser à l’intérêt de le protéger et de le respecter du mieux que nous pouvons pour pouvoir profiter de ses délices et de l’évasion qu’il procure.